Du Coin de la Page N°4 - Février 2019
Le mot du président
Chers amis des livres,
Chers amis de la Librairie indépendante,
Quelle tristesse en ce mois de février 2019.
Il est parti le Géant de Zéralda, c’était un géant d’Alsace, il est parti le brigand qui volait les idées établies et qui bousculait l’ordre établi, il est parti le provocateur rigolard, il est parti Otto, meurtri dans sa chair, il est parti sur une cathédrale fusée accompagné d’une armée de grenouilles et de chats, il a rejoint Jean de la Lune, il est devenu une étoile de plus au firmament, une étoile de plus sur fond bleu qui brille sur l’Europe, au-dessus du Rhin, entre Vosges et Forêt Noire…
Adieu cher Tomi Ungerer. Merci pour tous ces dessins, merci pour toutes ces histoires, merci pour toutes ces actions et ces prises de position, merci pour cet exemple d’humanisme….tu resteras dans le cœur des petits et des grands, et tes livres te survivront longtemps.
C’est un honneur pour tous les libraires d’Alsace de les avoir sur leurs rayons.
Nous vous remercions vivement pour votre fidélité et votre soutien et vous donnons rendez vous dans nos librairies pour tous vos souhaits de lecture.
A bientôt au prochain numéro
D Ehrengarth – Président A.LIR
Le coup de cœur de la librairie Parenthèse
D'os et de lumière de Mike Mc Cormack
Grasset
Marcus Conway est assis devant la table de sa cuisine, un sandwich et un verre de lait posés sur la nappe blanche. Il lit son journal et écoute la radio dans la maison vide, sa femme et ses deux enfants sont absents. Il est midi et les cloches sonnent l’Angelus, nous sommes le 2 novembre dans le village de Louisburgh, en Irlande. Pendant une heure, jusqu’au prochain bulletin d’information, Marcus se remémore sa vie depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, sa vie de fils, de mari, de père, d’ingénieur du génie civil. Il désosse son passé comme il observe les ponts, d’un regard aussi rationnel qu’émerveillé. Il se souvient également des épreuves qu’il a traversées comme son combat contre la petite corruption locale qui menace sans cesse de mettre en péril la qualité de son travail, et donc la sécurité de ses concitoyens.
Mike McCormack raconte avec tendresse et émotion l’histoire d’un homme. En suspension durant cette heure hors du temps, les souvenirs de Marcus Conway s’agrègent avec grâce pour mettre en regard l’intime et la société, le monde rural et l’économie globalisée, la tradition et les grandes questions contemporaines – la démocratie ou encore l’écologie. Il y a une lumière singulière dans ce texte, une langue qui bat au rythme d’un cœur en peine et qui nous immerge dans les profondeurs de l’âme celtique. Écrit d’un seul souffle, D’os et de lumière est un livre qui fera certainement date dans l’histoire de la littérature anglo-saxonne.
Claudia
Librairie La Parenthèse - 63 rue Boecklin - 67000 Strasbourg
Le coup de coeur de la librairie Pleine Page
Partiellement nuageux d'Antoine Choplin
La fosse aux ours
Ernesto est astronome, dans un modeste observatoire du Chili.
En grand solitaire, il vit au bord de l Océan, avec ses cahiers de poésie, son chat, ses amis mapuches.
En visite à la capitale, il se rend au Palais de la Monada, dans la salle des disparus, pour faire halte devant deux photos de Paulina, son ancienne fiancée, victime des répressions.
Paulina est en train de disparaître de sa mémoire .. « je la perdais de vue »..
Dans ce lieu de mémoire, ses pas le mènent à croiser ceux d'une jeune femme également hantée par le passé de son pays.
C'est le jeu des rencontres et pièges amoureux dans les vieux quartiers et jardins de la capitale ...Mais à chacun son propre rapport au passé tragique de son pays. Sera t'il possible de s'aimer en restant fidèle à soi même ?..
Fabrice
Librairie Pleine Page - 13 rue Sainte Barbe - 67600 Sélestat
Le coup de cœur de la librairie Ehrengarth
Ce qui nous revient de Corinne Royer
Actes Sud
Depuis l’âge de10 ans, Louisa a grandi sans sa maman Elena, chanteuse d’Opéra, partie pour 3 jours, afin d’avorter d’un enfant trisomique et qui n’est jamais revenue à la maison…
Avec son père Nicolaï, père fantasque, peintre faussaire de talent, qui emmenait sa famille vivre dans des maisons à vendre, elle devra arrêter la vie de bohême et grandir dans un petit appartement à Marseille où 15 ans plus tard elle commencera des prometteuses études de médecine.
Cette histoire familiale, drôle et émouvante, marginale mais tellement humaine est le cadre qui permet à Corinne Royer de nous faire rencontrer Marthe Gautier, véritable découvreur en 1958 du chromosome surnuméraire cause de la maladie qui en son temps était appelée « mongolisme ».
Alors qu’elle avait tout mis en œuvre, protocole scientifique, matériel biologique, matériel technique, etc…, la paternité de cette découvert lui fut volée par un collègue, et, parce qu’elle est femme, la reconnaissance de ce fait indiscutable et de la plus grande importance, ne lui est toujours pas entièrement attribué.
Louisa rencontrera Marthe Gautier, mais aussi un groupe d’enfants trisomiques en Bretagne, notamment Ivann, extraordinaire connaisseur des étoiles et formidable poète.
Corinne Royer, nous propose de magnifiques pages sur ce séjour en Bretagne et ces rencontres.
« Ce qui nous revient », un très beau roman humain mais aussi une histoire à découvrir, un plaidoyer pour la reconnaissance du travail d’une chercheuse méconnue, un autre regard sur la trisomie 21 et un féminisme authentique.
Dominique
Librairie Ehrengarth - 14 route du Polygone - 67100 Strasbourg
Le coup de cœur de la librairie A Livre Ouvert
Nomadland de Jessica Bruder
Globe Editions
"Bienvenue au paradis capitaliste"
Ils ont 65, 70, 75 ou 80 ans. Après une vie de travail; une maladie, un divorce ou la crise des subprimes de 2008 les ont ruinés. Incapables de payer leurs traites ils décident de partir "sur la route" dans des camping-cars, des vans ou de vieux bus scolaires bricolés. Pour survivre ils acceptent des boulots saisonniers dans les parcs d'attractions, les campings des parcs nationaux, la récolte des betteraves sucrières ou pire encore dans les entrepôts du géant de la distribution sur Internet (celui dont il ne faut pas dire le nom, comme Voldemort dans Harry Potter).
Là, ils sont la plupart du temps exploités, travaillant 10 à 12 heures par jour, 6 jours sur 7, effectuant 20 à 30 kilomètres de marche à pied dans les entrepôts d'Am...(on vous avait dit de ne pas le nommer), le tout pour des salaires de misère, sans protection sociale, éjectables à chaque moment, comme on jette un kleenex usagé.
Jessica Bruder les a suivis pendant plusieurs années. Journaliste à Washington la jeune femme a décidé de comprendre ce phénomène de nouveau nomadisme, ces familles (surtout des retraités) jetés sur la route par la misère qui les rattrape alors qu'ils avaient (a priori) leur destin et leurs finances bien entre leurs mains.
Ces situations ne sont pas sans rappeler les années 30 et les flots de familles ruinées et expulsées de leur pauvres masures par la crise de 1929 (John Steinbeck et ses "raisins de la colère" ne sont pas loin).
Et pourtant, ils espèrent, font des projets comme Linda qui veut se construire une "Géonef". (Allez voir sur les Internets pour voir à quoi ça ressemble)
Réalistes parfois ils se disent qu'un jour ils iront mourir seuls dans le désert parce qu"ils n'auront plus la force de continuer à tenter de survivre.
Parfois je me suis demandé si cette réalité américaine n'allait pas traverser l'Océan pour devenir concrète chez nous. Les ultra-libéraux de tout poil ne font pas qu'en rêver.....
Willy
Librairie A Livre Ouvert - 4 rue du Marché aux Poissons - 67160 Wissembourg
Le feuilleton des écrivains de l'association Littér'Al
Episode N°3 par Pierre Kretz
J’en avais assez des croisements et décroisements de jambes de l’épouse d’Athanase. On n’était pas dans une chanson de Brassens quand-même. Et jusqu’à nouvel ordre, l’époux de ma cliente était toujours en vie. J’avais envie de lui dire de se tenir décemment en des circonstances aussi tragiques, mais c’est une cliente. Et chez moi le client est roi et la cliente est reine. Elle prit congé non sans m’avoir remis une enveloppe kraft, qui contenait en liquide une provision conséquente. Je n’avais pas le choix, il me fallait commencer mon enquête sur le champ.
Je me rendis Chez René, rue Kageneck. Vladimir, le patron, était effondré.
- Figurez-vous, me dit-il, qu’avant sa séance de signature de « Le Canibale de Bâle », Il avait bu trois pastis avec ses amis de la table du fond, qui sont tous effondrés.
Je m’installai à leur table et, la mine déconfite, je leur dis : « C’est terrible quand même cette disparition n’est-ce pas. Et son épouse qui doit vivre dans une grande angoisse ».
J’ai cru deviner sur les lèvres de l’un de ces amis, une esquisse de sourire. C’était le moment d’offrir une tournée. Et comme pour les rassurer, je leur dis : « Elle est avocate. Cela aide ».
- Je ne sais pas si une avocate comme elle, dit l’un d’eux, peut beaucoup aider dans une affaire comme celle-ci. Elle est experte au Conseil de l’Europe pour le droit de l’homme en Russie. Elle est russophone. Grand-mère russe. Mais depuis peu elle s’intéresse au droit de l’énergie dans les pays de l’ex bloc soviétique.
Pierre Kretz